L’intérêt que le concept de valeurs a suscité 引起 est très ancien puisque son origine remonte à la Grèce antique, avec les écrits de Pla...
L’intérêt que le concept de valeurs a suscité 引起 est très ancien puisque son origine remonte à la Grèce antique, avec les écrits de Platon 柏拉图 sur le fondement des gouvernements et de la responsabilité des citoyens.
Les valeurs sont les convictions que nous considérons comme particulièrement importantes pour nous, celles qui constituent nos repères essentiels, qui nous servent pour effectuer nos choix les plus cruciaux et qui orientent donc pour une large part nos actions et notre comportement. Nos valeurs sont les éléments les plus stables de notre personnalité : C'est le moteur qui nous fait agir et nous donne de l'énergie pour entreprendre. c'est le socle de la confiance en soi.
Nos valeurs sont pour une part un héritage, un acquis provenant de notre éducation, de notre milieu socioculturel, de notre religion, en somme de toutes les personnes ou groupes sociaux ayant eu une influence sur nous.
Les "valeurs fondamentales" méritent une attention particulière car ce sont celles dont nous réalisons au fil des ans le caractère fondamental, très profondément ancré au fond de notre être. Elles ne semblent pas provenir directement d'un acquis éducatif. Elles se révèlent plutôt de façon naturelle et spontanée. Ces valeurs fondamentales correspondent à autant de besoins essentiels : il est indispensable pour notre équilibre et notre épanouissement qu'elles puissent être satisfaites. Nous pouvons les reconnaître au bien-être profond et intense qu'elles procurent en nous lorsqu'elles sont respectées.
L’objet de ce site est de présenter le modèle des valeurs universelles de Shalom Schwartz.
Commençons donc par une présentation succincte du concept de Valeur.
Les valeurs
Les valeurs sont un concept central dans la vie publique. Pour de nombreux auteurs (Tocqueville, Weber, Durkeim), les valeurs sont fondamentales pour expliquer l’organisation et le changement, au niveau de la société comme à celui des individus. Elles ont joué un rôle important non seulement en sociologie, mais aussi en psychologie, en anthropologie et dans l’ensemble des disciplines connexes.
On les utilise pour caractériser les individus ou les sociétés, pour suivre le changement au cours du temps, et pour expliquer les motivations de base qui sous-tendent attitudes et comportements. Les valeurs sont à l’origine des lois, des règles, des conventions et des coutumes qui régissent les groupes et les relations entre les individus qui les composent (Brée, 1994).
Beaucoup de conceptions différentes de cet objet de recherche ont alors émergé, mais l’utilisation des valeurs en sciences sociales a souffert de l’absence de consensus concernant la conception des valeurs de base, leur contenu et la structure des relations qu’elles entretiennent les unes avec les autres.
Le concept de valeur a ainsi vu différentes définitions :
- • « Croyance durable selon laquelle un mode spécifique de conduite ou un but de l’existence est personnellement et socialement préférable à d’autres conduites ou buts » (Rokeach, 1968)
- • « Préférences collectives qui apparaissent dans un contexte institutionnel et participent à sa régulation » (Boudon et Bourricaud, 1983)
- • « Ce que les hommes apprécient, estiment, désirent obtenir, recommandent, voire proposent comme idéal » (Rezsohazy, 2006)
- • « Adhésion des individus à des objectifs permettant de satisfaire des intérêts appartenant à des domaines motivationnels et ayant une importance plus ou moins grande dans la vie de tous les jours » (Schwartz et Bilsky, 1987)
Les valeurs ont différentes caractéristiques :
- • elles sont plus ou moins personnelles :
– la valeur peut être l’expression d’une personne (valeur personnelle), d’un groupe ou d’une société entière (valeur sociale) - • elles plus ou moins centrales dans une société :
– la valeur peut renforcer le statut dans le groupe social (valeur centrale), marginaliser celui qui y adhère (valeur déviante) ou permettre une certaine marge de manœuvre individuelle (valeur variante) - • elles sont plus ou moins globales :
– certaines valeurs peuvent être considérées comme des moyens (valeurs instrumentales) et d’autres comme des fins (valeurs terminales)
– certaines valeurs sont plus globales que d’autres (aire de validité) et transcendent les sphères de la vie sociale (exemple de la justice) - • elles sont plus ou moins structurantes du comportement
- • elles sont souvent relatives
– il n’existe pas de valeurs préférables à d’autres, dans l’absolu
– une même valeur peut être valorisée par les uns ou rejetées par les autres (notion de contre-valeur) - • elles sont parfois liées les unes aux autres
– défendre certaines valeurs implique d’en rejeter d’autres (ex.: plus de patriotisme ► moins de cosmopolitisme)
– défendre certaines valeurs implique d’en défendre d’autres (ex. : plus de cosmopolitisme ► plus d’égalitarisme)
Le concept de valeur se différencie d’autres concepts :
- • les besoins : les valeurs expriment individuellement et socialement les besoins sous-jacents ;
- • les traits de personnalité : les traits sont particulièrement stables et acquis dès l’enfance ; les valeurs sont susceptibles de changer ;
- • les attitudes : une attitude reste focalisée sur un objet particulier ; elle résulte en partie de la conformité de l’objet au système de valeur ;
- • la culture : les valeurs dérivent de la culture ; elles sont apprises au sein d’une société (socialisation) ou entre sociétés (acculturation) ;
- • les normes sociales : une norme se réfère à un comportement souhaité socialement, dans un contexte bien particulier ;
- • les styles de vie : les activités, centres d’intérêt et opinions.
On peut définir 4 dimensions dans le concept de valeur :
- • L’objet de la valeur, qui est valorisé ou déprécié ; par exemple : la nation, la famille, le travail, etc.
- • La valence de la valeur ; par exemple : bonne ou mauvaise, utile ou inutile, etc.
- • Le caractère plus ou moins normatif de la valeur ; par exemple : être patriote, être fidèle, etc.
- • Les porteurs de la valeur : acteurs individuels (parents) ou collectifs (parti politique, …), groupes sociaux.
Les valeurs représentent selon Assael (1984) quatre caractéristiques qui leur confèrent ainsi un caractère stable :
- • Les valeurs sont apprises au sein d’une société ou par transfert entre les sociétés ;
- • Un système de valeurs se concrétise par un ensemble de normes régissant les comportements ;
- • Les valeurs sont partagées au sein d’un même ensemble social ;
- • Les valeurs sont à la fois stables et dynamiques, leur évolution se produisant sur un cycle long.
Sources : multiples, mais soulignons les apports de Valeurs et consommation de Pierre Volle, de l'Université Paris Dauphine.Suite : les différentes approches pour l'étude des valeurs
Les approches
Il existe deux grandes approches pour étudier les valeurs :
1. La conception des valeurs en « Science politique »
L’auteur majeur est Ronald Ingelhart. Son approche est non typologique et comprend deux axes d’analyse :
- Valeurs traditionnelles vs. séculaires et rationnelles
- Valeurs de survie vs. d’expression de soi
Il étudier les différences de valeurs selon les pays et leurs évolutions. Pour illustrer les résultats de son travail, il propose de situer les pays étudiés selon deux axes, avec en ordonnée un positionnement allant des valeurs traditionnelles (liées à l' autorité, à la famille à la religion...) à des valeurs rationnelles modernes (démocratie, innovation,...) et en abscisse un positionnement allant de valeurs de survie (sécurité, appartenance...) à des valeurs d'expression (bien être, qualité de vie, créativité...). Pour interpréter le résultat obtenu, Inglehart s'appuie à la fois sur la géographie, la religion, l'idéologie et la langue comme le montre le graphique-carte ci-dessous.
Cette carte culturelle du monde de Ronald Inglehart et Christian Welzel illustre l’étonnante correspondance des valeurs dans les différentes cultures et permet de distinguer, avec quelques chevauchements, les zones culturelles suivantes : anciens pays communistes, pays confucianistes, pays anglophones, Europe catholique et Europe protestante, Amérique latine, Afrique et Asie du Sud. Si le nombre de valeurs est quasiment illimité, Inglehart a constaté au cours de ses trente années de recherches que 70% des valeurs pouvaient être classées selon deux axes et intégrées dans un système. L’axe horizontal indique le passage des valeurs de survie aux valeurs d’épanouissement personnel, l’axe vertical celui des valeurs traditionnelles aux valeurs séculières et rationnelles. Toutefois, contrairement à ce que l’on pensait dans les années 1970, la tendance mondiale n’est pas à la sécularisation, et ce en raison du taux de natalité nettement plus élevé chez les femmes croyantes. Au contraire, le nombre de personnes purement laïques tend à diminuer.
Il oppose ainsi les sociétés traditionnelles (matérialistes) aux sociétés développées (post-matérialistes) Inglehart considère que des valeurs post-matérialistes de « self-expression », de créativité conduisent à donner la priorité à la protection de l'environnement, à bien tolérer la diversité culturelle, à demander une participation aux décisions politiques, économiques, éthiques, à s'impliquer dans l'éducation des enfants, à aborder les débats de façon tolérante, à cultiver la confiance interpersonnelle... Le développement humain fait donc passer de la contrainte (en bas à gauche) au choix (en haut à droite).
Inglehart souhaite s'inscrire dans le débat posthume entre Marx et Weber sur les importances respectives des sphères économique et culturelle dans la modernisation des sociétés. Pour Inglehart, Marx avait raison, car c'est l'économique qui prime sur le culturel. Inglehart défend en effet l'idée selon laquelle « le développement économique a des conséquences politiques et culturelles systématiques et dans une certaine mesure prévisibles ».
Pour Ronald Inglehart, le changement des valeurs est déterminé par deux facteurs, le premier étant la sécurité physique et économique. Celui qui n'est pas menacé et mange à sa faim peut jouir d'une plus grande liberté d'action et s'épanouir davantage. Des valeurs comme la tolérance, la démocratie ou la protection de l'environnement remplacent alors les valeurs de survie. Le second facteur à avoir une incidence sur l'échelle de valeurs est le type d'activité. Un agriculteur, par exemple, est à la merci de la nature : selon les conditions météorologiques, sa récolte sera bonne ou mauvaise. Il ne peut que s'en remettre à une puissance supérieure. D'où l'importance primordiale des valeurs religieuses dans une société agricole. Mais dès que la chaîne de montage remplace la charrue, la planification centrale prend la place de Dieu. L'industrialisation évince la religion, et les valeurs deviennent séculières. Les changements sont encore plus radicaux dans une société fondée sur le savoir, comme le constate Inglehart en Europe occidentale, aux Etats-Unis ou au Japon. L'extrême rapidité de l'évolution oblige les gens à s'adapter en permanence et à faire preuve d'innovation et de créativité. La réalisation de soi devient une condition sine qua non.
Cette approche tolérante et confiante est propice en politique à l'expression libre des diverses opinions, ce qui est crucial pour la qualité du débat et de la vie démocratique.
2. La conception des valeurs en « Psychologie sociale »
Les auteurs majeurs sont Milton Rokeach et Shalom Schwartz. Leur approche est typologique, et comprend deux axes d’analyse :
- Valeurs de conservation vs. d’ouverture au changement
- Valeurs d’amélioration de soi (selfenhancement) vs. de dépassement de soi (self-transcendence)
Détaillons les différents modèles de typologies de valeurs selon les auteurs.
(A) L’inventaire de Rokeach (RVS)
Milton Rokeach (1918-1988), professeur de psychologie à l'université du Michigan, a été le pionnier de cette approche. Il explicite son approche des valeurs dans The Nature of Human Values (1973). Il a mis en évidence l’approche individuelle qui s’articule autour des cinq postulats suivants :
- le nombre total de valeurs qu’une personne possède est relativement faible ;
- tout individu possède les mêmes valeurs à différents degrés ;
- les valeurs sont organisées en systèmes et hiérarchisées ;
- les antécédents des valeurs humaines viennent de la culture, de la société et de ses institutions et de la personnalité ;
- les conséquences des valeurs humaines se manifestent dans à peu près tous les phénomènes étudiés en sciences sociales.
Compte tenu de la hiérarchie des valeurs, Rokeach a retenu 36 valeurs, qu’il a distinguées en deux types :
- des valeurs terminales ou buts de l’existence. Ce sont les buts ou les finalités de l'action qui se réfèrent aux valeurs personnelles ou aux valeurs sociales. On peut les répartir en des valeurs ayant trait à :
- l’absence de conflits internes et externes : plaisir (une vie agréable et menée sans hâte), la sécurité nationale (protection contre les attaques), harmonie intime (absence de conflit intérieur), bonheur (satisfaction), une vie confortable (une vie aisée, prospère), le salut (vie sauve, éternelle) ;
- l’universalisme sociétal : l’égalité (fraternité, égalité des chances pour tous), un monde en paix (un monde sans guerre ni conflit), un monde de beauté (beauté de la nature et des arts) ;
- l’accomplissement adulte : un sentiment d’accomplissement (contribution durable, sentiment d’avoir réussi), un statut social reconnu (respect, admiration), respect de soi (estime de soi, dignité personnelle), sagesse (une compréhension réfléchie de la vie) ;
- des liens sincères : amitié authentique (camaraderie étroite), plénitude amoureuse (intimité sexuelle et spirituelle) ;
- une définition individuelle intrinsèque : une vie passionnante (une vie active, stimulante, excitante), liberté (indépendance, libre choix), sécurité familiale (en prenant soin de ceux qu’on aime) ;
- les valeurs instrumentales ou modes de comportement pour atteindre les buts. Ces modes de conduite sont de deux ordres, avec des valeurs morales et des valeurs de compétence. On peut les répartir en des valeurs ayant trait :
- à la compétence : idées larges (esprit ouvert), indépendant (autonome), courageux, imaginatif (créatif, audacieux), logique (rationnel)
- au conformisme contraignant : poli (courtois, qui a de bonnes manières), propre (rangé, ordonné), ambition (travail dur), maître de soi (retenu, auto-discipliné), capable (compétent), obéissant (respectueux, soumis)
- à l'intérêt sociétal : indulgent (qui pardonne aux autres), serviable (travaillant pour le bien-être des autres), responsable (digne de confiance, sérieux), intellectuel (intelligent, réfléchi), honnête (sincère, véritable), gentil (aimant, affectueux, tendre), de bonne humeur (au cœur léger, joyeux)
Notons que cet inventaire a été construit en se basant sur la société américaine, et doit donc être adapté pour d'autres pays. De plus, l'ordre de ces valeurs change suivant les pays. Par exemple, d’après Kamakura et Mazzon, Journal of Consumer Research, 1991 :
Sélection de valeurs terminales de Rokeach | Brésil |
USA |
---|---|---|
Amitié authentique (camaraderie étroite), | 1 |
10 |
Plénitude amoureuse (intimité sexuelle et spirituelle) | 2 |
14 |
Bonheur (satisfaction) | 3 |
5 |
Harmonie intime (absence de conflit intérieur) | 4 |
13 |
Liberté (indépendance, libre choix) | 5 |
2 |
Sécurité familiale (en prenant soin de ceux qu’on aime) | 7 |
1 |
L’égalité (fraternité, égalité des chances pour tous) | 8 |
12 |
(B) L’inventaire de Kahle
L’inventaire de Rokeach présente un inconvénient : les valeurs ne sont pas liées à la vie quotidienne des consommateurs. Pour cette raison, les spécialistes en marketing préfèrent aujourd’hui utiliser le LOV (List of values) qui a été développé par Lynn Kahle, professeur de marketing à l’Université du Michigan, dans Social Values and Social Change (1983).
Son approche s’articule autour du postulat suivant : les individus s’adaptent à certains rôles dans la vie, en partie, en fonction de leurs valeurs. L’échelle de Kahle est une forme plus condensée que celle de Rokeach, ses valeurs sont orientées vers la personne alors que celles de Rokeach sont plutôt orientées vers la société. De plus, les valeurs de Kahle sont purement terminales. Les auteurs ont ainsi abouti à une liste de 9 valeurs :
- le sens de l’appartenance ;
- le besoin d’excitation;
- l’amusement et la joie de vivre ;
- des relations chaleureuses avec les autres ;
- l’épanouissement personnel ;
- un sentiment d’accomplissement ;
- être respecté ;
- la sécurité ;
- le respect de soi.
Les six premières valeurs sont des valeurs internes parce qu’elles sont issues de l’individu alors que les quatre dernières sont des valeurs externes. La théorie LOV note de même l’importance des gens dans l’accomplissement des valeurs. Les valeurs pouvant être réalisées à travers les relations interpersonnelles (interaction avec les autres, relations chaleureuses), des facteurs personnels (respect de soi, être respecté, l’accomplissement personnel) ou des aspirations personnelles (sentiment d’accomplissement, sécurité, amusement et joie de vivre).
(C) Shalom Schwartz
Shalom Schwartz est professeur de Psychologie Sociale à l’Université Hébraïque de Jérusalem ; prix d’Israël 2007 dans le domaine des sciences humaines et sociales, il a mené pendant 40 ans des recherches approfondies au sujet des valeurs personnelles et culturelles. Son approche (avec Wolfgang Bilsky), présentée dans Toward an Universal Structure of Human Values, in Journal of Personnality and Social Psychology (1987) s’appuie principalement sur les travaux de Rokeach.
Pour Schwartz, les valeurs répondent à la définition suivante :
- Ce sont des concepts ou des croyances qui se rapportent à des fins ou des comportements désirables
- Elles transcendent des situations spécifiques et sont l'expression de motivations destinées à atteindre des objectifs particuliers comme la sécurité, l'accomplissement, l'autonomie...
- Elles guident les choix et permettent l'évaluation de comportements envers des personnes et des évènements.
- Elles sont ordonnées selon leur importance relative en tant que principes qui guident la vie.
Ces valeurs répondent à trois besoins qui sont :
- besoin biologique : le besoin sexuel de l’individu peut par exemple être transformé en valeurs telles que l’intimité ou l’amour ;
- besoin d’une interaction sociale coordonnée : ce type de besoin peut par exemple être transformé en valeurs telles que l’honnêteté ou l’égalité ;
- besoin de survie et de bien-être au sein des groupes : ce besoin peut par exemple être formé de valeurs tel que la sécurité nationale ou la paix mondiale.
Ce modèle comporte 56 valeurs, regroupées en 10 « domaines motivationnels ».
Cette nouvelle théorie de la structure psychologique universelle des valeurs humaines a été testée par les auteurs dans 40 pays différents vu que « Les théories qui aspirent à l’universalité comme celles-ci doivent être testées sur de nombreux échantillons culturellement différents » (Schwartz et Bilsky, 1993).
Présentons-là plus en détail dans la page suivante.
La théorie des valeurs universelles de Schwartz (1)
Cette théorie traite des valeurs de base que les individus reconnaissent comme telles dans toutes les cultures. Elle identifie dix valeurs de base, différentes en termes de motivations, et décrit la dynamique des oppositions et des compatibilités entre elles. Certaines valeurs sont en opposition avec d’autres (par exemple la bienveillance s’oppose au pouvoir) tandis que d’autres vont de pair (par exemple la conformité et la sécurité). La « structure » des valeurs rend compte de ces relations d’opposition et de compatibilité entre valeurs, et non pas de leur importance relative. Si la structure des valeurs est similaire dans des groupes appartenant à des cultures différentes, cela permet de penser qu’il existe une organisation universelle des motivations humaines. Bien sûr, même si ces types de motivations humaines, dont les valeurs sont l’expression, ainsi que la structure des relations qu’elles entretiennent les unes avec les autres sont universels, les individus et les groupes se distinguent nettement les uns des autres quant à l’importance relative qu’ils attribuent à leurs différentes valeurs. En d’autres termes, les personnes et les groupes ont différentes « hiérarchies » ou « priorités » de valeurs.
La nature des valeurs
Quand nous pensons à nos valeurs, nous pensons à ce qui nous semble important dans la vie. Chacun de nous accorde des degrés d’importance divers à de nombreuses valeurs (par exemple la réussite, la sécurité, la bienveillance). Une valeur particulière peut être très importante pour une personne et sans importance pour une autre. Cette théorie des valeurs adopte une conception des valeurs qui leur attribue six caractéristiques principales :
- Les valeurs sont des croyances associées de manière indissociable aux affects.
Quand les valeurs sont « activées », elles se combinent aux sentiments. Les personnes pour qui l’indépendance est une valeur importante sont en état d’alerte si leur indépendance est menacée, désespérées quand elles ne parviennent pas à la préserver, et heureuses quand elles peuvent l’exercer. - Les valeurs ont trait à des objectifs désirables qui motivent l’action.
Les personnes pour qui l’ordre social, la justice et la bienfaisance sont des valeurs importantes sont motivées pour poursuivre ces objectifs. - Les valeurs transcendent les actions et les situations spécifiques.
L’obéissance et l’honnêteté, par exemple, sont des valeurs qui peuvent être pertinentes au travail ou à l’école, dans la pratique d’un sport, dans les affaires, en politique, au sein de la famille, avec les amis ou les étrangers. Cette caractéristique permet de distinguer les valeurs de concepts plus restreints comme les normes ou les attitudes, qui on trait généralement à des actions, des objets ou des situations particulières. - Les valeurs servent d’étalon ou de critères.
Les valeurs guident la sélection ou l’évaluation des actions, des politiques, des personnes et des événements. On décide de ce qui est bon ou mauvais, justifié ou illégitime, de ce qui vaut la peine d’être fait ou de ce qui doit être évité en fonction des conséquences possibles pour les valeurs que l’on affectionne. Mais l’impact des valeurs sur les décisions de tous les jours est rarement conscient. Les valeurs deviennent conscientes quand les actions ou les jugements que l’on envisage conduisent à des conflits entre différentes valeurs que l’on affectionne. - Les valeurs sont classées par ordre d’importance les unes par rapport aux autres.
Les valeurs d’une personne peuvent être classées par ordre de priorité, et cette hiérarchie est caractéristique de cette personne. Accorde-t-elle plus d’importance à la réussite ou à la justice, à la nouveauté ou à la tradition ? Le fait que les valeurs soient hiérarchisées chez un individu permet aussi de les distinguer des normes et des attitudes.
- L’importance relative de multiples valeurs guide l’action.
Toute attitude, tout comportement, implique nécessairement plus d’une valeur. Par exemple, aller à la messe peut exprimer et promouvoir des valeurs comme la tradition, la conformité et la sécurité, au détriment des valeurs d’hédonisme ou de stimulation. L’arbitrage entre des valeurs pertinentes et rivales est ce qui guide les attitudes et les comportements. Les valeurs contribuent à l’action dans la mesure où elles sont pertinentes dans le contexte (donc susceptibles d’être activées) et importantes pour celui qui agit.
Ces caractéristiques concernent toutes les valeurs. Ce qui distingue une valeur d’une autre est le type d’objectif ou de motivation que cette valeur exprime. La théorie des valeurs définit dix grands groupes de valeurs selon la motivation qui sous-tend chacune d’entre elles. Ces valeurs englobent le champ des différentes valeurs reconnues par toutes les cultures. Selon la théorie, il est probable que ces valeurs soient universelles parce qu’elles trouvent leur source dans au moins une des trois nécessités de l’existence humaine, auxquelles elles répondent. Ces nécessités sont : satisfaire les besoins biologiques des individus, permettre l’interaction sociale, et assurer le bon fonctionnement et la survie des groupes.
Les individus ne peuvent pas réussir seuls à répondre à ces trois nécessités de l’existence humaine. Bien plus, ils doivent exprimer des objectifs permettant tout à la fois d’y faire face, de communiquer avec les autres à leur sujet, et d’obtenir la collaboration des autres dans leur démarche. Les valeurs sont les concepts, socialement désirables, que l’on utilise pour représenter ces objectifs au niveau mental, et en même temps le lexique utilisé pour parler de ces objectifs dans les interactions sociales. D’un point de vue évolutionniste, ces objectifs et les valeurs qui les expriment sont un enjeu central pour la survie.
Les dix valeurs de base (ou « domaines motivationnels »)
Shalom Schwartz définit chacune des dix valeurs de base par l’objectif global qu’elle exprime, précise de quelle(s) nécessité(s) universelle(s) elle découle, et recense les valeurs qui s’y réfèrent. Pour rendre la signification de chaque valeur plus concrète et explicite, figure entre parenthèses la liste des items qui se trouvent dans le premier questionnaire utilisé pour mesurer les valeurs (Schwartz Value Survey [SVS]) et qui correspondent à cette valeur de base. Certains items utilisés pour approcher des valeurs importantes (par exemple l’amour-propre) ont des significations multiples : ils correspondent à plusieurs valeurs de base. Ces items figurent alors entre crochets.
Autonomie. Objectif : indépendance de la pensée et de l’action – choisir, créer, explorer. L’autonomie comme valeur est ancrée dans les besoins vitaux de contrôle et de maîtrise et les exigences d’interactions nécessaires à l’autonomie et à l’indépendance. (Les items utilisés pour approcher cette valeur de base sont : créativité, liberté, choisissant ses propres buts, curieux, indépendant ainsi que [amour propre, intelligent, droit à une vie privée]).
Stimulation. Objectif : enthousiasme, nouveauté et défis à relever dans la vie. Les valeurs de stimulation découlent du besoin vital de variété et de stimulation ; elles permettent de maintenir un niveau d’activité optimal et positif tout en écartant la menace qu’amènerait un niveau trop élevé de stimulation. Ce besoin vital est probablement en relation avec ceux qui sous-tendent les valeurs d’autonomie. (Items associés : une vie variée, une vie passionnante, intrépide).
Hédonisme. Objectif : plaisir ou gratification sensuelle personnelle. Les valeurs d’hédonisme proviennent des besoins vitaux de l’être humain et du plaisir associé à leur satisfaction. (Items associés : plaisir, aimant la vie, se faire plaisir)
Réussite. Objectif : le succès personnel obtenu grâce à la manifestation de compétences socialement reconnues. Être performant dans la création ou l’accès à des ressources est une nécessité pour la survie des individus ; c’est également indispensable pour que les groupes ou les institutions puissent atteindre leurs objectifs. Telles qu’on les définit ici, ces valeurs de réussite concernent principalement le fait d’être performant au regard des normes culturelles dominantes, et d’obtenir ainsi l’approbation sociale. (Items associés : ambitieux, ayant du succès, capable, ayant de l’influence ainsi que [intelligent, amour-propre, reconnaissance sociale])
Pouvoir. Objectif : statut social prestigieux, contrôle des ressources et domination des personnes. Le fonctionnement des institutions sociales nécessite apparemment un certain degré de différenciation des statuts sociaux. Une dimension domination/soumission apparaît dans la plupart des analyses empiriques des relations interpersonnelles, que ce soit à l’intérieur d’une même culture ou entre les cultures. Pour justifier cet aspect de la vie sociale et pour faire en sorte que les membres du groupe l’acceptent, le pouvoir doit être traité comme une valeur. Les valeurs de pouvoir peuvent aussi découler des aspirations individuelles au contrôle et à la domination. (Items associés : autorité, richesse, pouvoir social ainsi que [préservant mon image publique, reconnaissance sociale]).
Le pouvoir et la réussite sont deux valeurs qui visent la reconnaissance sociale. Cependant, les valeurs de réussite (par exemple, ambitieux) mettent l’accent sur la démonstration d’une compétence effective lors d’une interaction concrète, tandis que les valeurs de pouvoir (par exemple autorité, richesse) concernent plutôt le fait d’atteindre ou de conserver une position dominante à l’intérieur d’un système social plus global.
Sécurité. Objectif : sûreté, harmonie et stabilité de la société, des relations entre groupes et entre individus, et de soi-même. Les valeurs de sécurité découlent des nécessités fondamentales du groupe et de l’individu. Il y a deux sortes de valeurs de sécurité. Certaines concernent avant tout des intérêts individuels (par exemple, propre), d’autres concernent surtout des intérêts collectifs (par exemple, sécurité nationale). Mais même ces derniers sont liés, de manière non négligeable, à un objectif de sécurité pour soi-même (ou pour ceux auxquels on s’identifie). Les deux sortes de valeurs de sécurité peuvent donc être réunies dans une valeur qui les englobe. (Items associés : ordre social, sécurité familiale, sécurité nationale, propre, réciprocité des services rendus ainsi que [en bonne santé, modéré, sentiment d’appartenance]).
Conformité. Objectif : modération des actions, des goûts, des préférences et des impulsions susceptibles de déstabiliser ou de blesser les autres, ou encore de transgresser les attentes ou les normes sociales. Les valeurs de conformité proviennent de la nécessité pour les individus d’inhiber ceux de leurs désirs qui pourraient contrarier ou entraver le bon fonctionnement des interactions et du groupe. Telles que je les conçois, les valeurs de conformité concernent l’autolimitation dans les interactions quotidiennes, généralement avec des personnes proches. (Items associés : obéissant, auto-discipliné, politesse, honorant ses parents et les anciens ainsi que [loyal, responsable]).
Tradition. Objectif : respect, engagement et acceptation des coutumes et des idées soutenues par la culture ou la religion auxquelles on se rattache. Partout, les groupes développent des pratiques, des symboles, des idées et des croyances qui représentent leur expérience et leur destin commun et deviennent ainsi les coutumes et les traditions du groupe, qui leur accorde beaucoup de valeur. Ces coutumes et traditions deviennent l’expression de la solidarité du groupe, expriment sa valeur singulière et contribuent à sa survie. Elles prennent souvent la forme de rites religieux, de croyances, et de normes de comportement. (Items associés : respect de la tradition, humble, religieux, acceptant ma part dans la vie ainsi que [modéré, vie spirituelle]).
Les valeurs de tradition et de conformité sont particulièrement proches en termes de motivation ; toutes deux ont pour objectif la subordination du sujet aux attentes imposées par les autres. Cependant la nature de cette subordination diffère d’un type à l’autre : la conformité subordonne le sujet aux personnes avec lesquelles il est fréquemment en interaction – parents, professeurs, patrons ; la tradition subordonne le sujet à des objets plus abstraits – coutumes, idées religieuses ou spécifiques d’une culture. Corollairement, les valeurs de conformité amènent à répondre à des attentes présentes, qui peuvent varier. Les valeurs de tradition, elles, exigent que l’on se conforme à des attentes immuables, qui proviennent du passé.
Bienveillance. Objectif : la préservation et l’amélioration du bien-être des personnes avec lesquelles on se trouve fréquemment en contact (l’« endogroupe »). Les valeurs de bienveillance proviennent de la nécessité pour le groupe de fonctionner de manière harmonieuse et du besoin d’affiliation de l’individu en tant qu’organisme. Les relations au sein de la famille ou des autres groupes de proches sont ici cruciales. La bienveillance met l’accent sur le souci du bien-être des autres. (Items associés : secourable, honnête, indulgent, responsable, loyal, amitié vraie, amour adulte ainsi que [sentiment d’appartenance, un sens dans la vie, une vie spirituelle]).
Bienveillance et conformité contribuent toutes deux à développer la coopération et la solidarité. Cependant, les valeurs de bienveillance procèdent d’une base motivationnelle intériorisée débouchant positivement sur ces types de comportement. À l’inverse, les valeurs de conformité incitent à la coopération afin de protéger l’individu contre les conséquences négatives possibles pour lui-même de l’absence de coopération. Ces deux valeurs de base peuvent, ensemble ou séparément, conduire aux mêmes comportements.
Universalisme. Objectif : compréhension, estime, tolérance et protection du bien-être de tous et de la nature. Ceci contraste avec l’importance apportée à l’endogroupe pour les valeurs de bienveillance. Les valeurs d’universalisme proviennent du besoin de survie des individus et des groupes. Mais ce besoin n’est pas identifié tant que l’individu n’a pas été en contact avec d’autres groupes que celui de ses proches, et tant qu’il n’a pas pris conscience du caractère limité des ressources naturelles. L’individu peut alors réaliser que le fait de ne pas accepter que les autres soient différents et de ne pas les traiter de manière juste va provoquer un conflit mortellement dangereux. Il peut aussi réaliser que le fait de ne pas protéger l’environnement va conduire à la destruction des ressources dont la vie dépend. Les valeurs d’universalisme peuvent être divisées en deux sous-catégories, celles qui concernent les êtres humains (y compris les plus éloignés) et celles qui concernent la nature. (Items associés : large d’esprit, justice sociale, égalité, un monde en paix, un monde de beauté, unité avec la nature, sagesse, protégeant l’environnement ainsi que [harmonie intérieure, une vie spirituelle]).
Une version antérieure de la théorie des valeurs (Schwartz, 1992) émettait l’hypothèse d’une onzième valeur de base quasi universelle : la spiritualité. L’objectif des valeurs de spiritualité est le sens, la cohérence et l’harmonie intérieures, obtenus en transcendant la réalité quotidienne. Si la question du sens ultime est un besoin humain de base, alors la spiritualité doit être une valeur de base que l’on doit retrouver dans toutes les sociétés. Des items permettant d’approcher la spiritualité, recueillis dans des travaux très variés, ont donc été intégrés à l’enquête sur les valeurs. Les voici : une vie spirituelle, sens de la vie, harmonie intérieure, détachement ainsi que [unité avec la nature, acceptant ma part dans la vie, religieux]. Toutefois, les données empiriques montrent que la spiritualité n’est pas une valeur dont la signification est comprise de façon similaire dans toutes les cultures.
Suite : le modèle des valeurs universelles de Shalom Schwartz (II) Source : d'après Shalom Schwartz, Les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications, traduction Béatrice Hammer et Monique Wach, Revue française de sociologie, Ed Ophrys, 2006/4 - Volume 47, pages 929 à 968. Article complet sur Cairn.info.
La théorie des valeurs universelles de Schwartz (2)
La structure des relations entre les valeurs
Outre l’identification de dix valeurs fondamentales, la théorie décrit les relations de compatibilité et d’antagonisme que ces valeurs entretiennent les unes avec les autres, en d’autres termes la structure des valeurs. Cette structure provient du fait que lorsque l’on agit selon une valeur, quelle qu’elle soit, cela a des conséquences qui entrent en conflit avec certaines valeurs et sont compatibles avec d’autres. Par exemple, la recherche de la réussite entre la plupart du temps en conflit avec les valeurs de bienveillance. En effet, la quête du succès personnel a tendance à entraver les actions visant à améliorer le bien-être de ceux qui auraient besoin de notre aide. Mais rechercher à la fois la réussite et le pouvoir est généralement compatible. La quête de la réussite personnelle a tendance à renforcer et à être renforcée par des actions destinées à conforter la position sociale du sujet et son autorité sur les autres. Un autre exemple : rechercher la nouveauté et le changement (valeurs appartenant au type stimulation) a des chances d’entrer en conflit avec la préservation des coutumes consacrées par le temps (valeurs appartenant au type tradition). En revanche, les valeurs de tradition sont compatibles avec les valeurs de conformité. Toutes deux impliquent que l’on réponde à des attentes extérieures.
Une action visant telle ou telle valeur a des conséquences pratiques, psychologiques et sociales. Du point de vue pratique, choisir d’effectuer une action particulière conforme à une valeur (par exemple se droguer dans le cadre d’un rituel païen – visant la stimulation) peut clairement transgresser les prescriptions d’une autre valeur (suivre les préceptes de la religion – conforme à la tradition). Du point de vue psychologique, au moment de choisir une action, la personne peut se rendre compte que les deux actions qu’elle envisage sont psychologiquement dissonantes. Et du point de vue social, les autres peuvent la sanctionner en mettant en lumière la contradiction pratique et logique entre l’action choisie et les valeurs contraires que la personne professe. Bien sûr, les individus peuvent avoir (et ont) des valeurs antagonistes, mais ils ne cherchent pas à les atteindre ensemble dans un seul et même acte. Ils poursuivent plutôt des valeurs antagonistes dans des actes différents, à des moments différents et dans des contextes différents.
La structure circulaire de la Figure I décrit l’ensemble des relations d’antagonisme et de compatibilité entre valeurs. La tradition et la conformité sont situées dans la même région parce qu’elles partagent le même grand type d’objectif motivationnel. La conformité est située plus vers le centre de la figure, et la tradition plus vers la périphérie. Ceci signifie que les valeurs de tradition sont plus fortement opposées aux valeurs qui leur sont antagonistes. Les attentes liées aux valeurs de tradition sont plus abstraites et plus absolues que celles qui sont liées aux valeurs de conformité, qui apparaissent dans l’interaction concrète. De ce fait, les valeurs de tradition engendrent un rejet plus fort et sans équivoque des valeurs qui leur sont opposées.
Deux grandes dimensions structurent les relations d’antagonisme et de compatibilité entre les valeurs et permettent de les résumer. Comme on le voit sur la Figure I, une dimension oppose l’ouverture au changement (« openness to change ») et la continuité (« conservation »). Cette dimension rend compte du conflit entre les valeurs qui mettent en avant l’indépendance de la pensée, de l’action et des sensations ainsi que la disposition au changement (autonomie, stimulation), et celles qui mettent l’accent sur l’ordre, l’autolimitation, la préservation du passé et la résistance au changement (sécurité, conformité, tradition). La seconde dimension oppose l’affirmation de soi [« selfenhancement » : il s’agit de poursuivre ses propres intérêts sans tenir compte de ceux des autres, y compris si c’est à leur détriment] au dépassement de soi [« self-transcendence » : il s’agit ici de dépasser ses propres intérêts et de faire passer les intérêts des autres avant les siens propres].
Cette dimension rend compte du conflit qui oppose les valeurs qui mettent en avant le bien-être et l’intérêt des autres (universalisme, bienveillance) aux valeurs qui mettent au premier plan la poursuite d’intérêts individuels, la réussite personnelle et la domination (pouvoir, réussite). L’hédonisme relève à la fois de l’ouverture au changement et de l’affirmation de soi.
Bien que la théorie définisse dix grandes valeurs, elle suppose qu’à la base les valeurs forment un continuum en termes de motivations. Ce continuum explique la structure circulaire. Pour rendre plus claire la nature de ce continuum, précisons les motivations communes à deux valeurs adjacentes :
- La motivation commune au pouvoir et à la réussite est la recherche de reconnaissance sociale ;
- La motivation partagée par la réussite et l’hédonisme est de mettre en avant la satisfaction personnelle ;
- Le point commun entre l’hédonisme et la stimulation est que ces deux valeurs amènent à rechercher des sensations excitantes et des émotions agréables ;
- La motivation conjointe de la stimulation et de l’autonomie est l’intérêt intrinsèque pour la nouveauté et pour la maîtrise ;
- La motivation que partagent l’autonomie et l’universalisme est le fait de se fier à son jugement personnel et d’être à l’aise avec la diversité ;
- L’universalisme et la bienveillance accordent tous deux la priorité aux autres et relèvent tous deux du dépassement des intérêts égoïstes ;
- La motivation commune à la bienveillance et à la tradition est l’importance accordée au dévouement envers le groupe d’appartenance (l’endogroupe) ;
- Le point commun entre la bienveillance et la conformité est que ces deux valeurs requièrent un comportement normatif qui facilite les relations avec les proches ;
- La conformité comme la tradition nécessitent la subordination de l’individu aux attentes imposées par la société ;
- La motivation partagée par la tradition et la sécurité est de pérenniser les arrangements sociaux qui existent et assurent la sécurité ;
- Conformité et sécurité mettent toutes deux en avant l’ordre et l’importance de relations harmonieuses ;
- La sécurité et le pouvoir supposent tous deux que l’on évite ou que l’on jugule les menaces en contrôlant les relations et les ressources.
En bref, l’agencement circulaire des valeurs représente un continuum en termes de motivations. Plus deux valeurs sont proches l’une de l’autre sur ce cercle, plus les motivations correspondantes sont similaires ; plus deux valeurs sont au contraire distantes, plus les motivations qui les sous-tendent sont antagonistes. L’idée que les valeurs forment un continuum a une implication importante : la partition du domaine des valeurs en dix grands types est une commodité arbitraire. On peut diviser le domaine en plus ou moins de valeurs de base selon les besoins et les objectifs de l’analyse.
Validation empirique de la théorie
Les données obtenues ont été recueillies entre 1988 et 2002 dans 233 échantillons de 68 pays appartenant à tous les continents (au total 64 271 personnes).
Pour chacun de ces échantillons, on calcule la matrice des corrélations des 56 valeurs. Schwartz a ensuite effectué sur cette matrice une analyse des plus petits espaces (Similarity Structure Analysis [SSA]). Cette technique d’échelonnement multidimensionnel non métrique représente les items comme des points dans un espace multidimensionnel, de telle sorte que les distances entre ces points rendent compte des interrelations entre items. Plus deux items sont similaires en termes conceptuels, plus ils doivent être liés d’un point de vue empirique et donc plus ils doivent être proches dans l’espace multidimensionnel. La SSA fournit des représentations graphiques à deux dimensions des relations entre les valeurs semblables à la Figure II (Annexe), mais sans lignes de séparation. On trace ces lignes de séparation en s’aidant de la répartition a priori des items dans les valeurs de base.
Si la théorie décrit de manière pertinente la structure des relations entre les valeurs, alors ces régions distinctes devraient s’agencer selon une structure circulaire similaire à la structure théorique représentée par la Figure I. Les valeurs formant un continuum, l’emplacement exact des frontières est arbitraire. Des items appartenant à deux valeurs adjacentes qui seraient tous deux proches de la frontière entre ces deux valeurs de base seraient nécessairement proches en termes de signification.
Lorsque l’on effectue ce type d’analyse sur chacun des 233 échantillons, cependant, on constate que, pour 96 % d’entre eux, chaque valeur de base constitue soit une région à part, soit forme une région commune avec une valeur de base adjacente. Les items constituant le type spiritualité ne forment une région distincte que dans 38 % des cas. Le plus souvent, les items appartenant au type spiritualité apparaissent dans les régions correspondant aux valeurs tradition, bienveillance, universalisme ou sécurité.
La SSA donne donc des résultats graphiques qui confirment la validité de la théorie à travers différentes cultures. Ces données montrent donc que, dans la plupart des cultures, on peut distinguer les dix valeurs de base, et que les types de valeurs plus larges constitués par le regroupement de valeurs adjacentes peuvent, eux, être distingués de manière presque universelle.
Source : d'après Shalom Schwartz, Les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications, traduction Béatrice Hammer et Monique Wach, Revue française de sociologie, Ed Ophrys, 2006/4 - Volume 47, pages 929 à 968. Article complet sur Cairn.info. Suite : le modèle des valeurs universelles de Shalom Schwartz (III)
La théorie des valeurs universelles de Schwartz (3)
Les fondements de la structure dynamique des relations entre valeurs
Nous avons identifié un premier principe dynamique qui organise la structure des valeurs : il s’agit des relations de compatibilité et d’antagonisme entre valeurs qui interviennent simultanément dans les décisions. Un examen attentif de la structure suggère l’existence d’autres principes dynamiques (voir Figure III).
Un second principe réside dans le type d’intérêt qui motive les différentes valeurs. Les valeurs qui figurent en haut de la Figure III (pouvoir, réussite, hédonisme, stimulation, autonomie) traitent principalement de la façon dont on exprime les intérêts individuels. Les valeurs qui figurent en bas (bienveillance, universalisme, tradition, conformité, sécurité) traitent principalement du type de relations sociales que l’on entretient avec les autres et de la façon dont on influe sur leur réussite dans la poursuite de leurs intérêts. La Figure I montre que l’universalisme et la sécurité se situent au contact de ces deux groupes de valeurs. Elles traitent en premier des intérêts des autres, mais les objectifs qu’elles permettent d’atteindre concernent également les intérêts personnels.
Les rapports entre les valeurs et l’anxiété sont un troisième principe organisateur de la structure des valeurs. Les valeurs qui figurent sur la gauche de la Figure III permettent de gérer l’anxiété générée par l’incertitude qui existe dans le monde de la nature et dans la société. On cherche à éviter le conflit (conformité), à maintenir l’ordre existant (tradition, sécurité) ou à juguler les menaces (pouvoir). Les valeurs qui figurent sur la droite (hédonisme, stimulation, autonomie, universalisme, bienveillance) expriment des motivations d’où l’anxiété est absente. La réussite peut figurer dans ces deux catégories : on peut contrôler son anxiété en réussissant socialement, on peut aussi confirmer par cette réussite son sentiment de compétence.
Cette lecture de la structure des valeurs en termes d’anxiété fait écho aux deux formes fondamentales d’autorégulation que Higgins (1997) a proposées. La première gouverne le fait d’éviter les sanctions et de faire en sorte, de façon plus générale, d’éviter les pertes. Les besoins de sécurité, les obligations, ainsi que la menace de possibles pertes activent ce système. Les valeurs qui figurent sur la gauche de la Figure III, et plus spécifiquement la sécurité et la conformité, mettent en oeuvre cette forme de régulation. Elles concentrent l’attention et l’action sur le fait d’éviter ou de surmonter les dangers, réels ou potentiels. La seconde gouverne la recherche de récompenses et, de façon plus générale, incite les individus à rechercher des gains. Les besoins de s’occuper des autres, les idéaux, les aspirations intellectuelles et les possibilités de gain activent ce système. Les valeurs qui figurent sur la droite de la Figure III, et plus particulièrement l’autonomie, mettent en oeuvre cette forme d’autorégulation. Elles concentrent l’attention et l’action sur les possibilités
Le référentiel pan-culturel de la hiérarchie des valeurs
Il y a beaucoup de variations interindividuelles dans l’importance attribuée aux dix valeurs de base. En revanche, lorsque l’on se place au niveau de la société, on observe des similitudes étonnantes dans les hiérarchies des valeurs. Même quand on utilise des instruments différents, on constate que l’ordre d’importance des dix valeurs de base est très similaire d’un échantillon représentatif à un autre. On observe généralement la hiérarchie suivante :
- bienveillance
- universalisme
- autonomie
- sécurité
- conformité
- hédonisme
- réussite
- tradition
- stimulation
- pouvoir
Il est probable que ce consensus pan-culturel dans la hiérarchie des valeurs découle de ce qui est commun à la nature humaine, ainsi que du fait que les valeurs ont des capacités adaptatives pour assurer le maintien des sociétés. Ceux qui participent à des activités de groupe et ceux qui jouent un rôle dans le contrôle social déprécient les valeurs qui entrent en conflit avec le fonctionnement harmonieux de groupes sociaux importants ou de la société dans son ensemble. Il y a peu de chances pour que des valeurs contraires à la nature humaine aient un rôle important.
La fonction sociale de base des valeurs est d’inspirer et de maintenir sous contrôle les comportements des membres du groupe. Deux mécanismes sont cruciaux. Tout d’abord, les valeurs constituent des modèles que les individus ont intériorisés ; ils évitent ainsi au groupe de devoir exercer sur eux un contrôle social en permanence. Ensuite, les individus invoquent telle ou telle valeur pour prouver que tel ou tel comportement est approprié, pour justifier leurs exigences vis-à-vis des autres, et pour susciter les comportements désirables. Consciemment ou non, les agents de socialisation cherchent à inculquer des valeurs qui permettent la survie du groupe et la prospérité. Pour expliquer le fait que la hiérarchie des valeurs soit similaire dans de nombreuses cultures, on doit expliquer pourquoi, quelle que soit la société, certaines valeurs particulières sont perçues comme plus ou moins désirables.
Trois exigences de la nature humaine indispensables au fonctionnement social permettent d’expliquer cette régularité dans la hiérarchie des valeurs que l’on peut observer empiriquement.
- La plus importante est la nécessité de mettre en oeuvre et de préserver la coopération et le soutien entre les membres des groupes de base. Le point le plus crucial dans la transmission des valeurs est de faire en sorte de développer l’engagement dans des relations positives, l’identification au groupe et la loyauté envers ses membres.
- Ensuite, on doit donner aux individus la motivation pour consacrer du temps et fournir les efforts physiques et intellectuels nécessaires à la réussite d’une tâche productive ; il faut qu’ils aient envie de résoudre les problèmes rencontrés à cette occasion, de concevoir de nouvelles idées et de trouver des solutions techniques.
- Enfin, il est utile socialement de donner une légitimité à la satisfaction des besoins et des désirs personnels dans la mesure où cela ne s’oppose pas aux objectifs du groupe. Si l’on rejetait toutes ces gratifications individuelles, les individus seraient frustrés, ce qui les amènerait à arrêter de mettre leur énergie au service du groupe et de ses actions.
La grande importance de la bienveillance (1re position) découle du caractère central des relations sociales positives et coopératives au sein de la famille, qui est le lieu principal d’acquisition et d’apprentissage des valeurs. La bienveillance constitue la base intériorisée de ce qui motive de telles relations. Cette valeur de base est façonnée dès le plus jeune âge et renforcée ensuite à de nombreuses reprises.
L’universalisme (2e) contribue également à l’établissement de relations sociales positives. Il est très utile principalement quand les membres du groupe doivent entrer en relation avec d’autres auxquels ils ne s’identifient pas facilement, à l’école, au travail, etc. L’universalisme peut aller jusqu’à mettre en péril la solidarité interne au groupe en cas de conflit avec un autre groupe. C’est la raison pour laquelle l’universalisme arrive derrière la bienveillance.
La sécurité (4e) et la conformité (5e) débouchent toutes deux sur l’harmonie des relations sociales. En effet, elles contribuent à ce que les conflits soient évités, et à ce que les normes du groupe ne soient pas transgressées. Mais ces valeurs sont généralement acquises en réponse à des exigences et à des sanctions destinées à éviter les risques, à contrôler certaines pulsions et à imposer des limites aux individus. Ceci réduit leur importance, parce que cela entre en conflit avec la satisfaction des besoins et des désirs individuels. De plus, le fait que ces valeurs soient destinées à maintenir le statu quo entre en conflit avec l’innovation nécessaire à la recherche de solutions nouvelles pour mener à bien les tâches du groupe.
Promouvoir la tradition (généralement en 8e position) peut aussi améliorer la solidarité au sein du groupe et de ce fait faciliter le fonctionnement et la survie du groupe. Mais la tradition s’exprime rarement dans des comportements d’importance cruciale pour les différents acteurs en présence. Elle concerne bien plus souvent l’engagement vis-à-vis de croyances abstraites ou de symboles.
Rechercher le pouvoir (10e) peut faire du tort aux autres, les exploiter et détériorer les relations sociales. Le pouvoir a tout de même de l’importance en tant que valeur parce qu’il peut donner aux individus la motivation d’oeuvrer pour les intérêts du groupe. Il justifie aussi la hiérarchie sociale dans toutes les sociétés.
L’autonomie (3e) participe aux deuxième et troisième fonctions des valeurs sans nuire à la première. Elle développe la créativité, l’innovation et incite à se confronter aux défis que le groupe peut rencontrer en temps de crise. Le comportement fondé sur ces valeurs trouve sa motivation en lui-même. Il satisfait les besoins individuels sans faire de mal aux autres. De ce fait, il est rare qu’il menace l’harmonie des relations sociales.
Le rang modeste des valeurs de réussite (7e) pourrait exprimer un compromis entre les bases de la hiérarchisation des valeurs. En positif, cette valeur de base amène les individus à s’investir dans certaines tâches du groupe. Elle rend également légitime l’affirmation de soi, tant qu’elle contribue au bien-être du groupe. En négatif, cette valeur de base encourage certains efforts pour obtenir l’approbation sociale qui peuvent désorganiser les rapports sociaux harmonieux et perturber la réalisation des objectifs du groupe.
L’importance de l’hédonisme (6e) et celle de la stimulation (9e) proviennent de la nécessité de rendre légitimes les besoins innés d’atteindre l’excitation et le plaisir. Ces deux valeurs de base sont probablement plus importantes que le pouvoir puisque, contrairement à lui, le fait de les rechercher ne menace pas nécessairement l’harmonie des relations sociales positives.
La structure des relations entre les dix valeurs peut également avoir des fondements biologiques et génétiques. Les dix valeurs concordent avec les quatre pulsions innées proposées par Lawrence et Nohria dans Driven : how human nature shapes our choices
(2002). Vraisemblablement, ces pulsions, au cours de l’évolution, se
sont dégagées comme un ensemble de règles pour la décision, et elles
sont au coeur de la nature humaine. Ces quatre pulsions sont :
1) Acquérir : rechercher, prendre, contrôler et
conserver les ressources matérielles, les signes de statut social, et
les expériences gratifiantes ;
2) Relier : nouer des relations sociales et développer l’engagement mutuel dans des relations d’entraide ;
3) Apprendre : savoir, comprendre, croire, apprécier et appréhender son environnement et soi-même, en exerçant sa curiosité ;
4) Défendre : se défendre soi-même et défendre les
réalisations que l’on valorise chaque fois que l’on a l’impression
qu’elles sont menacées.
Les pulsions « acquérir » et « relier » entrent souvent en conflit lorsque l’on doit prendre une décision au sujet d’une action, de la même façon que les pulsions « apprendre » et « défendre ». On constate que chaque valeur de base exprime une pulsion ou une combinaison de deux pulsions. Les valeurs transforment les pulsions en objectifs désirables dont on peut être conscient, et qui peuvent de ce fait être invoqués lorsque l’on prend une décision ou lorsque l’on planifie une action. Voici les correspondances que l’on peut établir entre valeurs et pulsions :
- Bienveillance : relier ;
- Universalisme : relier + apprendre ;
- Autonomie : apprendre ;
- Sécurité : défendre ;
- Conformité : défendre et relier.
- Hédonisme : (apprendre +) acquérir des expériences gratifiantes ;
- Réussite : acquérir ;
- Tradition : défendre et relier ;
- Stimulation : apprendre (+ acquérir des expériences gratifiantes) ;
- Pouvoir : acquérir + défendre.
Quand on établit ces correspondances entre valeurs et pulsions, on le fait en suivant le cercle des valeurs. Les oppositions entre valeurs correspondent aux oppositions entre pulsions identifiées par Lawrence et Nohria. Cette correspondance entre valeurs et pulsions laisse penser qu’un fondement inné peut aider à expliquer la quasi-universalité de la structure des valeurs.
Source : d'après Shalom Schwartz, Les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications, traduction Béatrice Hammer et Monique Wach, Revue française de sociologie, Ed Ophrys, 2006/4 - Volume 47, pages 929 à 968. Article complet sur Cairn.info. Suite : les développements récents